Chers Lecteurs et chères Lectrices, fidèles à l’éthique et aux idéaux qui nous ont permis de donner vie à L’ALTRO et d’en faire un participant constant et actif au débat public animé avec un esprit libre dans le monde qui nous entoure, nous publions cette semaine un article de dénonciation touchant, dramatique et à la première personne. C’est une histoire de droits niés au cœur de l’Union Européenne; le récit d’une odyssée angoissée que nous publions sans hésitation au nom des droits civiques, des droits de l’homme, de la libre information et du devoir d’information.
Nous sommes en 2023, bien qu’il me semble de vivre un siècle avant l’année 1985, l’année où la France et d’autres pays ont signé les accords qui se conforme au système Schengen, pour garantir un espace de libre circulation sans contrôles aux frontières intérieures, pour renforcer la liberté des citoyens et sauvegarder la sécurité intérieure. Un accord que l’Italie a signé en 1990. Les événements que nous rapportons se sont produits en France: un homme handicapé et deux de ses assistants ont été victimes de comportements discriminatoires de la part de la police aux frontières de la ville de Toulon.
C’est leur histoire racontée par Giuseppe, tétraplégique, qui a vu ses assistants littéralement disparaître, la police les a arrêtés sans explication aucune, lui faisant alors vivre un véritable cauchemar. Lui, laissé seul et sans l’assistance nécessaire, a fait un malaise. Nous recevons et publions avec plaisir le rapport de Giuseppe, capable de nous donner à réfléchir qui va bien au-delà d’une histoire personnelle. Il souhaite qu’aujourd’hui certains faits soient connus du plus grand nombre afin que les responsables soient identifiés et tenus responsables de leurs actes au nom des droits fondamentaux, de l’éthique déontologique la plus élémentaire et du sens civique et humanitaire.
Nous publierons prochainement ce même texte dans d’autres langues. Nous demandons à nos lecteurs de diffuser l’article autant que possible. Faisons en sorte qu’il arrive à Bruxelles!
Je m’appelle Giuseppe Idone, je suis né à Rome et j’habite à Rome. Je suis psychiatre et psychothérapeute. Je suis une personne tétraplégique en raison d’un traumatisme de la moelle épinière.
Mes assistants de nationalité indienne et moi avons passé la nuit du 25 septembre 2023 à l’hôtel Holiday Inn City Center, situé au n. 1 de l’Av. Rageot de la Touche, dans la ville de Toulon. C’est le lendemain qu’il a vu ici même la grave violation de la dignité personnelle que nous avons tous subie. Nous dénonçons des droits niés au cœur de l’Union Européenne.
Histoire de Giuseppe, tétraplégique, et de ses deux assistants de nationalité indienne. Où et quand les événements ont eu lieu
Nous sommes allés en France en partant en voiture de Rome le 21 septembre, avec comme destination finale la ville de Lourdes, où nous sommes arrivés après quelques arrêts. Nous quittons Lourdes le 25 septembre au matin et arrivons le soir à Toulon pour y passer la nuit avec l’intention de repartir le lendemain matin, 26 septembre, pour Gênes.
Le 26 au matin, nous sommes allés prendre le petit déjeuner au Bar de la Marine, au n° 1 de la Pl. Gabriel Péri, à une courte distance de l’hôtel.
Après le petit déjeuner, j’ai annoncé à mes deux assistants que je partais pour une petite visite vers le port de Toulon; j’utilise un fauteuil roulant électronique qui me permet de me déplacer de manière autonome même dans les espaces urbains.
Ensuite, ils sont partis à pied vers l’hôtel pour mettre les bagages dans ma voiture. Le départ pour Gênes était prévu à 10 heures. J’étais déjà parti vers le port lorsque mes deux assistants, à quelques mètres du bar, ont été encerclés par la police aux frontières qui les a obligés à les suivre jusqu’à leur bureau à quelques mètres, au n° 33 de la Rue Berrier Fontaine.
Ils ont été obligés d’enlever leurs chaussures et leur ceinture et de présenter leurs papiers, ce qui est parfaitement normal pour deux citoyens non européens qui séjournent en Italie depuis de nombreuses années avec un permis de séjour de travail.
Les agents de la police aux frontières n’y ont pas cru et, affirmant en sourire narquois qu’il s’agissait des faux papiers, ils ont confisqué leurs portables et ont voulu voir leurs emails.
Vexation, menaces et détention injustifiée de la part de la police aux frontières
On leur a posé des questions telles que «Qui est le président de l’Inde?», «Qui est le Premier ministre de l’Inde?», «Donnez-moi quelques noms de villes indiennes». Ensuite, l’un des deux citoyens indiens a demandé à un policier quelle était la raison de cette arrestation et pour toute réponse on leur a répondu que le juge les informerait le lendemain et que par conséquent leurs détention sera de 24 heures jusqu’à la décision du magistrat. On leur a ordonné de ne plus poser de questions, sinon leur incarcération pouvait aller jusqu’a 20 jours.
Ils ont dû fournir un justificatif du jour et de l’heure de leur entrée sur le territoire français. Grace aux textos qui arrivent automatiquement sur les portables lors du franchissement de la frontière d’un pays étranger. Le policier a lu le textos en souriant et a immédiatement indiqué que le portable appartenait à une autre personne. Les deux citoyens indiens, de plus en plus désespérés, ont déclaré à la police qu’ils devaient absolument assister une personne handicapée qui les attendait à l’hôtel Holiday Inn City Center, à quelques pas de là. Ils ont répondu en riant que cette personne handicapée pouvait se débrouiller seule.
Ensuite, ils ont été placés dans une cellule semi-obscure pendant des heures.
J’ignorais encore complètement ces événements. Je suis arrivé à l’hôtel vers 9h45, je ne les ai pas trouvés et j’ai trouvé la voiture vide, je les ai appelés plusieurs fois sur leurs portables sans obtenir de réponse. Je pensais qu’eux aussi étaient partis se promener sans se rendre compte de l’heure et qu’ils n’avaient pas entendu la sonnerie de leurs portables.
Un peu plus tard, mon portable a sonné; c’était un de mes deux amis indiens, il me dit: “Giuseppe, ils nous ont arrêtés, nous sommes au commissariat”. (Il ne pouvait pas savoir que c’était la police aux frontières). Ensuite, son portable lui a été arraché des mains et une femme, d’un ton très grossier et hautain, a tenu un discours arrogant. Je ne la comprends pas bien et je lui demande si elle parle anglais, elle me répond en haussant encore plus le ton: “Pas du tout !”. Et elle raccroche.
Dommage causé à une personne handicapée
Je me suis retrouvé en panique totale, complètement perdu; je suis rentré à l’hôtel et j’ai raconté ce qui s’était passé avec un immense désarroi aux personnel de la réception qui m’a conseillé d’aller au commissariat le plus proche. Je me suis rendu à l’aide de mon fauteuil roulant au poste de police qui était environ a 1 kilomètre de là, mais ils n’ont rien su me dire; alors, je suis retourné à l’hôtel. Depuis, la réception, ils ont appelé la police qui est arrivée plus tard à l’hôtel et j’ai aussi le Consulat italien à Marseille, qui m’a énormément aidé. La police a appelé tous les commissariats et gendarmeries de la ville qui leur ont répondu qu’aucun citoyen indien n’avait été arrêté.
À ce moment-là, l’un des trois policiers m’a dit que il était préférable signaler la disparition des deux personnes car elles avaient probablement été kidnappées. De plus en plus désespéré, j’ai appelé ma femme à Rome qui était prête à prendre l’avion à 18 heures avec mon fils de 11 ans et demi.
À ce stade j’ai commencé à me sentir mal, avoir la tête qui tourne; heureusement dans l’hôtel, en plus de la disponibilité des réceptionnistes, il y avait aussi un Italien qui était à Toulon pour des raisons professionnelles. A qui j’ai demandé de l’aide, j’ai basculé mon fauteuil roulant pour garder ma tête plus inclinée, je lui ai demandé de me tenir la tête et j’ai demandé à un jeune homme à la réception de lever mes jambes pour faire monter un peu ma tension artérielle, d’ouvrir ma chemise et ma ceinture parce que je respirais avec difficulté. J’ai demandé de boire une boisson froide et très sucrée pour bloquer les signes d’un évanouissement.
La réception a alors décidé d’appeler une ambulance, eux aussi ont eu très peur. Après environ 15 minutes, incliné et les jambes relevées, je me suis senti un peu mieux, je me suis repositionné et nous avons renoncés a l’ambulance. Malheureusement, peu de temps après, et je m’y attendais, j’ai commencé à ressentir le besoin de vider ma vessie, ce que je fais en insérant un cathéter jetable, avec l’aide fondamentale d’une autre personne.
Je ne pouvais demander à aucun membre du personnel de l’hôtel de m’aider pour une manœuvre aussi particulière, nous avons donc commencé à chercher sur Internet un infirmier disponible pour intervenir sur place, mais nous ne l’avons pas trouvé. J’ai quitté l’hôtel et je me suis rendu à la pharmacie la plus proche pour leur demander s’ils avaient le nom et le numéro de téléphone d’un infirmier; heureusement, ils l’avaient et je l’ai appelé, il est venu m’aider, j’ai lui ai payé 20 euros. Je me suis calmé mais cette odyssée a continué car nous ne savions toujours pas où étaient nos amis indiens.
Les deux citoyens indiens sont retrouvés, mais la police ne donne aucune garantie quant à leur libération. D’autres menaces s’ajoutent
Quelques heures plus tard, un coup de fil arrive à l’un des trois policiers présents dans l’hôtel; il me raconte qu’ils ont retrouvé les deux citoyens indiens à la police des frontières “pour des contrôles”, et qu’on ne savaient pas quand est ce qu’ils seront libérés.
Le consulat italien à Marseille, qui m’a soutenu minute par minute dans cette affaire absurde, m’a tout de suite appelé pour me dire que les citoyens indiens étaient à la police aux frontières locale.
Enfin, après 5 heures de souffrance et de tension, aux alentours de 15 heures, ils sont libérés et arrivent à l’hôtel qui se trouve à moins de 100 mètres de la police aux frontières. Avant de quitter la cellule, les deux amis indiens ont demandé aux policiers un rapport écrit avec le motif de leur arrestation; on leur a refusé en ajoutant qu’ils auraient très bien pu trouver de bonnes raisons pour les emprisonner pendant six mois (je précise que mes deux amis et assistants indiens sont deux véritables exemples d’humanité, de discrétion, de sang-froid et d’éducation).
Nous nous sommes finalement détendus, tant bien que mal, nous avons mangé quelque chose, mais avant de monter dans la voiture pour partir vers Gênes, j’ai voulu être accompagné à la police aux frontières. Deux personnes m’ont reçu avec un regard sombre et une attitude arrogante; ils m’ont immédiatement demandé mes papiers. L’un d’eux me donne son explication arbitraire de ce qui s’est passé, en me disant que les citoyens non européens, même s’ils sont en possession de documents réguliers pour l’Italie, n’avaient absolument aucun droit d’entrer en France sans permis, et encore moins de circuler en France en voiture. J’ai dit à la policière (celle qui m’a raccroché au nez) qu’on ne peut pas arrêter les gens comme ça, surtout s’ils aident une personne handicapée et la laissant seule; elle me répond, avec encore plus d’arrogance et de suffisance, que je n’étais pas seul puisque j’étais en compagnie du personnel de l’hôtel. J’ai dit que lorsqu’ils arrêtent quelqu’un qui prétend aider une personne handicapée, ils doivent le libérer au moins pour le temps nécessaire pour l’aide à la vie; ils me répondent qu’ils ne croient jamais à ce que les gens racontent. Non contents de leurs explications, ils m’ont également dit qu’avant de les arrêter, ils avaient vu à travers leurs caméras mes deux amis qui marchaient seuls sur le trottoir à proximité de leur bureau; ils ont ajouté que pour eux en tant que policiers, la situation n’ai pas claire et que je devrais être tout le temps présent avec eux.
J’aurais voulu répondre mais je me suis contrôlé.
J’avais l’impression d’être dans une caserne de la légion étrangère, dans le film de Laurel et Hardy que j’ai vu des dizaines de fois quand j’étais enfant parce qu’il me faisait tellement rire (d’enfant!).
Avant de quitter le poste de police des frontières, j’ai tendu la main d’un des tortionnaires de la police, il m’a donné son index droit; puis, ils ont ouvert la porte blindée, je suis sorti de cet endroit horrible et les tortionnaires ont fermé la porte en la claquant avec force et très brusquement.
De retour a la maison, humiliés et bafoués
Vers 16 heures nous quittons Toulon humiliés et bafoués.
Ce matin de chien, alors que je me dirigeais vers le port de Toulon, alors que cette histoire kafkaïenne de “folie ordinaire” venait de commencer à mon insu, je me suis retrouvé devant le Palais de Justice et je me suis arrêté quelques secondes pour lire et réfléchir sur ce qui est écrit en grosses lettres sur l’entrée monumentale: Liberté Égalité Fraternité.
Depuis que je lis des articles sur la Révolution française, probablement depuis l’école primaire, chaque fois que je vois ou pense à ces mots, je suis impressionné; ce matin-là aussi, devant le Palais de Justice de Toulon, j’ai pensé une fois de plus que les Français avaient tant appris au monde sur les Droits de l’Homme.
Ce matin de chien, quelques heures plus tard, j’avais subit sur ma peau e sur celle de mes amis indiens: haine, sadisme, intolérance, ignorance, vengeance. Évidemment, tout ce que j’ai dit n’a rien à voir avec la totalité ni avec la mentalité (souvent colonialiste) des Français, mais je ne peux cacher qu’avant de retraverser leur frontière dans un éventuel futur, j’en réfléchirai plus d’une fois.
Et je le dis Franchement!
Des épisodes comme ont vécu mes amis indiens et moi se produisent quotidiennement; cela ne devrait pas être le cas, mais malheureusement, tout cela dérive d’un climat paranoïaque de non-fraternité qui s’est développé dans ce monde et dans cette époque dysfonctionnelle.
Depuis notre retour, nous trois souffrions de symptômes du syndrome de stress post-traumatique, ayant subi, de manières différentes, un outrage violent de la police aux frontières de Toulon.
Sans l’intervention du Consulat italien à Marseille, que je remercie infiniment et qui s’est entretenu avec le chef de la police des frontières de Toulon, les deux malheureux citoyens indiens seraient restés en cellule probablement au moins jusqu’au lendemain.
Et pour moi que ce serait-il passé?
Paris vaut bien une messe! Et Toulon?
Et cela ne va passer sans que je porte plainte, notamment auprès de la Cour de La Haye.
Giuseppe Idone
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